• Les Trophées de la honte

     

    Dans l’album de ce chirurgien urgentiste de Miami, le souvenir de sa chasse à la girafe. 

    Les Trophées de la honte

     

    En s’exhibant devant ses proies abattues, Melissa  Bachman,  une star de  la télé américaine,  a fait scandale. Les associations de défense des animaux réclament la suppression de son émission. Mais la chasseuse n’a rien fait d’illégal. Pas plus que cet homme posant devant la girafe qu’il vient d’abattre. Pour une quinzaine de milliers d’euros, en Afrique du Sud, on peut s’offrir des trophées comme ceux-là.

     

     

    Si le tueur avait porté des rouflaquettes et une moustache de Tartarin, le choc n’aurait pas été aussi insupportable. Elle est jeune, 25 ans avoués, maquillée façon Zahia du samedi soir. Le sourire triomphant comme si elle vendait du dentifrice. Mais Melissa Bachman pose avec le lion qu’elle vient d’abattre, illustrant le plus beau jour de sa vie. Selon son habitude, elle envoie sa photo sur Internet, comme elle le fait chaque semaine puisqu’elle anime une émission consacrée à la chasse, aux chasseurs et à leurs victimes : « Winchester Deadly Passion ». Mais, quand elle posait avec un perdreau ou un alligator, ou un représentant du gros gibier réputé plus noble, l’émotion était moins vive. Elle a un public de 12,5 millions d’Américains, chasseurs assidus. La chasse « sportive » les fait rêver depuis les exploits du président Théodore Roosevelt qui avait massacré 11 éléphants, 20 rhinocéros et 17 lions pendant un safari de trois mois en 1909, à partir de Mombasa, sous les applaudissements. De retour à New York, l’ancien président fit l’article et vanta l’ivresse incomparable et le romantisme de cette aventure éternelle : l’homme seul face au monstre. Il oubliait de dire qu’une cour de 250 personnes l’avait accompagné et protégé pendant ces nuits d’ivresse.

    Quand Melissa raconte sa « chasse », un tir de 55 mètres, avec le même enthousiasme qu’elle met à narrer une traque à l’élan, c’est l’indignation. Sous les huées, elle a même dû retirer de son compte Twitter son petit chef-d’œuvre d’auto-­satisfaction. Condamnée au silence, alors qu’elle voulait s’inscrire dans la lignée glorieuse des vainqueurs de Panthera leo, les vrais héros depuis qu’Hercule avait ­débarrassé les Grecs du terrible lion de Némée. Hercule s’en était fait une virile houppelande qui lui servait à la fois de Barbour et de carte de visite. Melissa, elle, n’a tué qu’un lion qui n’avait sûrement pas fini sa sieste. Le fauve a été surpris par une balle filant à 804 mètres par seconde (certifié par prospectus). Et sa famille ne régnait pas sur la savane depuis des millénaires puisque ce « roi » provenait d’un élevage. Désormais, plus de 300 exploitations élèvent des lionceaux pour les relâcher, adultes, à la demande ; 5 000 sont nourris en cage comme des poulets. Cela s’appelle chasser « en boîte », spécialité touristique de l’Afrique du Sud. Dernier chiffre connu en 2 000 : 480 lions abattus, dont 444 élevés en captivité.

    Immonde, barbare, ignoble, ont déjà dit 500 000 internautes, et ce n’est pas fini. Les superlatifs pleuvent en rafale sur la Barbie cynégétique qui se prend pour Diane. Voire les menaces. Beaucoup souhaitent la voir à la place d’un lion et imaginent mille sévices qui feraient ressembler son sourire béat aux chicots d’une sorcière de Goya. Mais cette exécution n’a rien d’illégal. Simplement jugée inhumaine par la vox populi. Jamais un tel geste n’avait suscité une aussi puissante indignation. Pippa Middleton avait révulsé en posant avec un tableau de chasse de 50 volatiles. Juan Carlos avait fait pire quand on avait appris que ce président d’honneur du WWF traquait l’éléphant en galante compagnie ; justice immanente, il était rentré sur une civière à cause d’une hanche qui coinçait.

     

    Les safaris, c’est de la chasse « en boîte » : on surprend des lions d’élevage au sortir de leur sieste

     

    Vingt-trois pays africains autorisent cette chasse qui génère plus de 200 millions de dollars de trafic, c’est le mot. Une infime partie va à la population qui se dispute les restes des carcasses. En effet, le spécialiste du tir à bout portant ne peut ramener que la tête pour orner son dessus de cheminée. David Chancellor a ainsi immortalisé quelques maniaques de la gâchette, notamment un avocat au salon encombré de 230 trophées, dont un grizzli, un ours polaire et un rhinocéros. Le prix réel d’un de ces trophées varie de 13 000 à 45 000 dollars, sans compter les petits ­arrangements dont on ne parle pas au ­paradis de la corruption.

    Melissa a-t-elle rendu service aux contempteurs de la chasse, de toutes les chasses ? Ce raz de marée indigné ne risque-t-il pas de fausser l’image de la chasse « normale » en France ? Première d’Europe avec 1,2 million de permis, elle rallie 20 000 nouveaux adeptes chaque année. Un chiffre qui en fait le deuxième sport préféré des Français – après le foot. Un loisir qui séduit les femmes, près de 130 000, et les jeunes : 50 % des moins de 30 ans sont favorables à la chasse, 7 % seulement réclament l’interdiction. ­Jamais la pratique de la chasse ne s’est mieux portée, même si elle change parfois de genre. Tradition depuis Cro-Magnon et les Pierrafeu qui n’avaient pas le choix s’ils voulaient des protéines, c’est devenu une ambition, celle des classes laborieuses qui voulaient avoir accès à cette manne réservée aux seigneurs, aux possédants.

    Cette frustration des gens normaux a ­explosé en 1789, quand l’enthousiasme populaire a inscrit « chasse pour tous » dans tous les cahiers de doléances : les ­garennes, aussitôt envahies par les Nemrod en sabots, se sont dépeuplées alors même que les chasseurs fortunés émigraient. C’est aujourd’hui une entreprise qui génère 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 23 000 emplois qui, par définition, ne peuvent être délocalisés. Le débat prend de la hauteur avec des philosophes comme Elisabeth Bourdeau de Fontenay ou l’anthropologue Bertrand Hell : l’homme est-il un animal comme les autres, ou le pire ? Les propos d’Elisabeth Bourdeau de Fontenay sont d’autant plus audibles, quand elle parle du « silence des bêtes », qu’elle a elle-même, jeune fille, succombé à la séduction de la chasse.

     

     


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 8 Décembre 2013 à 09:14

    inadmissible!!!

    bon dimanche .petit kdo pour toi sur mon blog(art.divers/kdo a mes amis)

    gros bisous

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